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[Entretien] Comment ralentir quand tout accélère ? 2/2

Publié le 25 octobre 2018 à 10 h 22 min

Mise à jour le 24 juin 2019 à 13 h 16 min

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Gilles Vernet est un ancien professionnel de la finance de marché, un trader. Lorsqu’il a appris que sa mère était atteinte d’une maladie incurable, il a décidé de tout arrêter pour l’accompagner. Puis il est devenu professeur des écoles, auteur de documentaires et d’ouvrages sur le temps, l’accélération, la croissance. Il a notamment écrit “Tout s’accélère” (Eyrolles). Ceci est la deuxième partie d’un entretien publié ici.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

On oublie souvent de rappeler que, depuis le Moyen Âge, l’humanité a connu la diffusion de l’horloge, la diffusion d’un temps séquencé d’abord à la minute, puis à la seconde au XVIIIe siècle, jusqu’au centième, puis l’entrée dans l’ère de la vitesse au XXe siècle. En parallèle de ce mouvement, l’idée selon laquelle « le temps, c’est de l’argent » s’est imposée, avec pour conséquence l’ambition de rendre son temps toujours plus productif. Le problème est que cette croissance de la productivité est exponentielle et finit par atteindre ses limites en épuisant les gens. De mon point de vue, il y a une alliance objective de la finance et de la technologie, parce que l’une et l’autre se nourrissent mutuellement. D’une part, la technologie a besoin de la finance pour se développer car elle coûte cher et, d’autre part, la technologie le rend bien à la finance car elle est à l’origine de gains de productivité colossaux. Donc l’une et l’autre avancent de concert, mais aux dépens du rythme humain, en lien avec la nature.

Y a-t-il un message politique dans ce que vous dites ?

Non, je ne crois pas ; j’ai la conviction que cette course contre le temps qui nous manque tant est « transclasses » : elle concerne tout le monde. Par contre, elle interroge chacun sur le sens du système. Si ce dernier est conçu pour nous demander d’être toujours plus intenses dans nos actions, et donc d’effectuer plus de tâches en même temps, on peut légitimement se demander quel est son sens si tout un chacun en vient au final à en souffrir, à l’exception des champions.

Vous évoquez souvent l’ego ou la mort. Quel est le rapport avec le temps ?

Je dis même que les deux vont ensemble, et que face à la mort l’ego n’existe plus ; sur son lit de mort, c’est davantage une main qui va nous aider que notre ego. Lorsque j’ai été confronté à la mort de ma mère, qui a été suivie par celles de mon père et de ma grand-mère, je me suis aperçu que je n’avais aucune conscience de la mort et qu’elle était tout simplement absente de notre société. La mort a quasiment disparu du réel, alors que, consubstantielle à la vie, elle est partout. N’ayant plus cette expérience charnelle simple, on perd de vue cette banalité très bien résumée par André Gide: « Ça ne doit pas être bien difficile de mourir, parce que tout le monde y arrive. » On aurait peut-être plus de sérénité à faire face à cette banalité qu’est la mort, car c’est ce qui est inconnu, ce que l’on ne peut pas toucher ou approcher, qui fait peur. On peut même établir une corrélation entre le fait que la mort soit devenue taboue et le fait que nous courions contre le temps pour fuir la mort, pour rendre la vie tellement intense qu’on en oublie notre finitude. Vivre toujours dans l’urgence permet de ne pas trop y penser. Enfin, on peut voir notre accélération générale récente comme une mise en compétition des egos qui enflent, dans un oubli de leur subordination à quelque chose de plus grand qu’eux.

Pour nos lecteurs qui se demandent bien par où commencer, avez-vous une méthode à leur proposer ? Un chemin à prendre ?

Pas vraiment, à vrai dire, car je pense que chaque cas est particulier. Le temps est un concept tellement vaste que chacun peut y mettre ce qu’il veut. En la matière, je ne crois pas aux recettes. Par contre, j’ai voulu donner des outils aux gens avec mon livre, afin que chacun commence là où il veut. Ce qui me paraît important, c’est de se donner l’opportunité d’effectuer une prise de recul sur soi. Essayer de ne pas se mentir à soi-même, regarder quel est son rapport au temps, quelles sont ses clés de lecture… Puis de voir de quelle façon on peut faire évoluer les choses avec un élément qui me paraît fondamental et valable pour tout le monde : l’indulgence. Un des drames de notre société, c’est la culpabilité face à un développement exponentiel. Si, par exemple, vous vous sentez coupable de ne pas répondre à tous vos e-mails, dont l’augmentation est exponentielle et que vous savez ce qu’est une exponentielle en mathématiques, c’est-à-dire un nombre qui augmente très vite, vous comprenez qu’à l’impossible nul n’est tenu. Puisque cette tâche n’est pas à taille humaine, vous pouvez commencer à faire le tri en privilégiant les e-mails importants, par exemple. Il faut que les gens comprennent le phénomène d’accélération en jeu et que cela nous dépasse tous, en intégrant que nous devons faire des choix et donc les définir sans se culpabiliser. Au final, on en revient à l’idée du sens à donner à sa vie.

Une société qui prend le temps peut-elle devenir plus durable ?

Absolument. D’ailleurs, on oublie le temps passé à consommer, alors qu’il est colossal. Chaque année, le PIB augmente plus que la population, ce qui signifie que nous consommons plus et qu’on y passe plus de temps. On se retrouve d’ailleurs souvent dans une sorte de frénésie qui consiste à acheter ce que nous n’aurons pas le temps de consommer, amenant à une frustration que nous compensons par un nouvel acte d’achat. Or, une société qui accorderait un statut positif à des temps vides, des pauses, produirait sans doute moins d’excès. Il est intéressant de rappeler que les objets que nous accumulons finissent souvent par tomber en panne, que nous n’avons pas le temps de les réparer ou les faire réparer. Dans ce système, il devient plus simple de les racheter, avec toutes les conséquences que cela implique sur les ressources naturelles. J’estime d’ailleurs qu’il y a une forme d’hypocrisie à vouloir répandre notre système partout sur la planète, car si tout le monde consommait comme nous, cela serait intenable du point de vue des ressources naturelles.

Parlez-vous du temps avec vos élèves de CM1 ?

Oui, et ce sont eux qui ont le plus à nous apprendre ! Notamment car ils sont comme une plante qui pousse et qu’ils ont leur propre temporalité. Il y a donc quelque chose de très naturel chez l’enfant qui vous ramène à ce que j’ai tendance à voir comme fondamental, et dont la technologie nous éloigne. Et il me semble qu’aujourd’hui se pose une vraie question pour nos enfants : la technologie est en train de les emporter. À partir d’un certain âge, autour de l’entrée au collège, la technologie s’installe dans leur quotidien pour les emporter dans un flux qui risque de les éloigner de la réalité du temps, et donc de la réalité de la vie.

Extrait de mon ouvrage “Changer d’ère, l’air de rien”, paru aux éditions Rue de l’Echiquier

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